De guerre en guerre
Des bouts d'écriture qui mis bout à bout feront peut-être un jour un livre ~(^-^)~
« La raison veut décider de ce qui est juste, la colère veut qu’on trouve juste ce qu’elle a décidé..» - Sénèque -
… et ce que ma colère a décidé est… juste.
Il est difficile de me dire que mes valeurs et ce en quoi je crois ne sont pas justes car cela reviendrait à saboter les fondations même de cette identité finie et rassurante du monde des formes et des sens à travers laquelle je me définis : l’ego.
Je vous laisse imaginer le nombre de batailles que j’ai engagées et souvent sur plusieurs fronts simultanément. Je trouvais autant de sources d’injustice que je plaçais ma justice au-dessus de tout au nom de la justesse de mon identité, de ce que je suis, de mes valeurs, de ma valeur. Toutes étaient justes et justifiaient ma colère et je n’ai jamais manqué à l’appel… de ma colère.
C’est dans mon travail que j’ai trouvé les situations qui ont le plus attisé ma colère. Mais je comprends aujourd’hui que j’avais une leçon à apprendre.
Pour pouvoir en parler, vous devez être informés de quelques traits au travers desquels je me suis définie et laisser définir.
Je suis quelqu’un d’intelligente et créative qui sait réfléchir par elle-même et prendre des initiatives. Je suis allergique à toute forme d’autorité : j’y vois une atteinte à ma liberté de penser, de créer et aussi une injure à l’identité qui me définit. Néanmoins j’arrive à « faire avec » dès lors que je ne me sens pas commander, que j’ai mon mot à dire… bref que je suis reconnue comme quelqu’un qui sait réfléchir et non comme quelqu’un à qui on doit dire ce qu’elle doit faire.
8 guerres et un enterrement…
La série a commencé 4 ans après que j’ai commencé le tai chi. Tout s’est déchaîné avec un de mes instructeurs, s’est enchaîné avec un de mes collègues pour se projeter à un ami. Ce sont trois batailles qui se sont soldés par trois « Je vous quitte.»
Je n’ai pas trouvé de paix à ma colère néanmoins, dans la tourmente, je voyais confusément que derrière la cause de ma colère, il y avait peut-être quelque chose qui venait de moi… une permission active ou passive que j’avais donnée. A ce moment, je n’étais pas prête encore à ébranler mes certitudes identitaires… sans doute car je n’avais pas encore d’axe…
J’ai quand même pansé plus ou moins mes plaies.
Fin des premier, deuxième et troisième rounds
Une autre arène dans une autre sphère celle du travail.
Le « hasard » a voulu que je ne devienne pas médecin comme je l’avais décidé petite mais que je rentre dans l’administration. Dans cette organisation pyramidale et verticale, j’ai la chance d’occuper des postes où j’ai bénéficié d’une grande liberté d’actions et d’autonomie. Si j’étais appréciée par les collègues, les partenaires, mes chefs, j’ai eu quelques échauffourées avec quasiment tous mes chefs (N et aussi N+1).
Là ce n’est plus du hasard mais c’est bien une leçon que la vie m’a resservie 5 nouvelles fois. Il semble que je n’avais pas bien appris des 3 premières batailles.
Je me retrouve dans une « dream team » : un chef super cool, des collègues trop cools et des missions vraiment vraiment très cools.
Je crée mon association de cours de tai chi. Je découvre la liberté de mener une entreprise car créer et gérer une association c’est comme créer et gérer une entreprise.
Tout se passe à merveille et les vieux démons semblent s’être volatilisés… pourtant, au bout de trois ans, un agacement petit au départ et de plus en plus empoisonnant vient mettre le feu à ce tableau idyllique. Et me voilà repartie en colère à la guerre. L’objet de mon ire, le chef… ce chef pourtant si cool des débuts est devenu un chef pas à la hauteur… « pas assez » et « vraiment trop »… Ma technique de guerre est aussi fine et diabolique que la colère me ronge : je ne lui épargne rien et il va sans dire que je suis bien l’ange et lui le démon car ma cause est si juste et la sienne si fausse…
Je justifie chaque coup porté et je m’emporte quand certains osent me dire que j’y suis allée un peu fort. Comment ne voient-ils pas la justesse de ma cause ? Comment ne voient-ils pas la personne formidable que je suis, victime de ce chef qui, à mes yeux aveuglés de colère, n’en avait que le titre. Il n’y a pas de pire bourreau qu’une victime assoiffée de vengeance.
« Les causes de la colère sont bien moins graves que ses effets. »
Ma colère a réveillé la colère d’autres personnes autour de moi dont je suis devenue l’objet. Cela a été un nouvel alibi pour accroitre ma colère vis à vis de ce chef et paradoxalement salutaire en m’obligeant à prendre du recul - autant que faire se peut quand la colère est si présente.
La méditation que je découvrais, ma pratique du tai chi que je poursuivais m’ont sans doute « sauvée » la vie en me permettant de changer de comportement… mais pas encore d’état d’esprit…
Alors que j’étais hors de moi à déverser ma colère sur le chef, une personne est entrée dans le bureau pour le défendre et me remettre à ma place. Je crois que je n’ai jamais ressentie une colère aussi intense de ma vie… J’ai bien sûr éclaté « poliment » en allant m’expliquer porte fermée dans le bureau de cette personne. Je ne vous cache pas aussi que j’avais honte de m’être fait prendre en flagrant délit de colère… ma belle image de moi-même, la personne formidable que j’étais à mes yeux et que je voulais donner à voir au monde en prenait un sacré coup…
Je rentrais chez moi encore plus dévorée par ma colère que je projetais mentalement sur cette personne. Faute de pouvoir être hors de moi physiquement et projeter ma colère contre le mur - je n’avais pas envie de me casser non plus - j’ai fermé les yeux, fait remonter la colère, je l’ai déconnectée du visage de la personne pour juste l’observer dans mon corps. Tout était maintenant une sensation en moi et avec moi et j’étais à la fois celle qui sent et celle qui observe.
Je me souviens d’une violente explosion à l’intérieur de moi qui ne pouvant éclater à l’extérieur se cognait aux limites de mon corps qui jouait le rôle d’une paroi matelassée contre laquelle les ondes de l’explosion rebondissaient pour aller se cogner sur un autre endroit et repartir de plus belle. Les chocs pourtant bien amortis contre mon corps-paroi étaient si importants que je regardais mes bras pour voir s’ils ne se déformaient pas. J’avais l’impression qu’un monstre d’une sauvagerie stupéfiante se ruait dans tous les sens pour sortir du piège de mon corps. Cela a duré quelques minutes puis les battements de mon coeur se sont calmés et les ondes de chocs se sont atténuées pour disparaître. Ma colère, sans qu’elle soit complètement partie s’est amenuisée. J’ai refait cette « routine » quelques fois pour ne plus ressentir aucune colère.
Inutile de vous dire que j’étais incommensurablement fière d’avoir réussi cet exploit de « contenir » ma colère pour ne la laisser éclater que dans l’intimité de mon corps. J’ai voulu croire que j’étais une guerrière « meilleure » grâce à ce que j’estimais être un exploit, une performance.
Une guerrière « meilleure » n’en reste pas moins une guerrière. Cela ne veut rien dire un “meilleur” guerrier ou un guerrier “bon” car il n’y a pas de demi-mesure ni à la paix ni à la guerre. Qu’est-ce qu’un guerrier « bon » celui qui défend ce qui lui semble juste et qui ne l’est pas pour d’autres ?
Un guerrier ne peut pas être « bon » puisqu’il élimine, condamne, tue au nom d’une cause juste à ses yeux ce qui induit que toutes les autres causes en dehors de la sienne ne sont pas justes et doivent être combattues.
Aussi, rester une guerrière ne permet pas d’être en paix.
A ce moment là de mes batailles, je pensais mériter toutes les médailles et les honneurs pour avoir su éviter un conflit « sans précédent » en maîtrisant ma colère. Mon ego, cet usurpateur d’identité, me fourvoyait encore dans une belle image de moi d’ « un guerrier bon ».
« La vie est un très bon professeur, tant que tu n’as pas compris la leçon elle te la ressert. »
Le chef change, des collègues partent et de nouveaux arrivent. Pour la minorité de ceux qui restent dont moi nous nous voyons « has been » dans le regard de la nouvelle « dream team ». De plus alors que j’étais légitime pour devenir le chef adjoint du service, je me vois grillée la place par un collègue, un ami… Voilà qui plante le décor de ma nouvelle leçon…
Comme d’habitude, je pars en guerre contre vents et marées. Tempêtes, orages autour de ce que j’ai considéré comme un complot mené par le N+2, l’ancien N+1 et ce collègue passé dans le camp de « l’ennemi » pour avoir osé accepter ce qui me semblait inacceptable.
Explications, notes, lettres, je suis victime en colère. Puis, de mal et bon gré, il a bien fallu accepter la situation pour ne pas que mon quotidien au travail devienne un enfer avec mon collègue que je considérais avant tout comme mon ami. Alors au lieu de l’envier et le jalouser, je l’ai aimé pour ce qu’il a toujours été : mon ami et je me suis réjouie pour lui de sa promotion.
Je ne suis pas quitte pour autant avec ma leçon… Je rentre dans un conflit larvé avec mon nouveau N+1 : tout en silence, tout en trouble et en confusion. Faute de pouvoir déclarer une guerre ouverte, j’ai mené une guerre « sourde » en profitant de chaque opportunité (et je vous jure que je n’en ai manqué aucune) pour attiser le feu allumé par d’autres car comme tous les chefs il est bien sûr en « pas assez… » et en « trop… » et donc pour résumer… « pas à la hauteur… ».
Vous vous dites peut-être « Décidément, il n’y a aucun chef qui ne soit à la hauteur à ses yeux. » C’est aussi ce que je me suis dit et c’est là, sur le chantier de cette 8ième guerre que j’ai pris conscience de la boucle que je répétais inlassablement depuis ma première guerre à l’image d’un disque enrayé qui saute et recommence toujours le même « tatatitata ».
J’ai alors décidé d’arrêter de critiquer (autant que j’en étais capable) car je voyais que cela ne faisait qu’exacerber et augmenter mon esprit guerrier et me fatiguait sans jamais mener à rien. J’ai choisi de mieux comprendre le fonctionnement, la façon de voir de cette personne. Pour être tout à fait honnête, j’ai bien vu que derrière les bons sentiments, cette « trêve » n’était qu’un subterfuge de mon ego pour étudier l’ennemi pour mieux attaquer.
Néanmoins, ce processus de comprendre m’a permis de voir au-delà de ce qui m’exaspérait et me divisait, que je partageais avec cet ennemi des goûts, des façons de voir et aussi de faire. J’arrivais même à apprécier certains côtés et même à le défendre bien que derrière la façade je continuais à m’agiter et me diviser dans mon inefficacité à savoir, pouvoir ou vouloir « communiquer » et ma confusion quant aux armes à utiliser pour l’attaquer.
Le regard porté par mes collègues me confortait dans l’image d’un ennemi insaisissable, incernable, et donc …increvable. Il n’y avait donc rien à faire que d’attendre que ça passe et faire le dos rond. Cela rassurait mon ego guerrier qui s’en tirait face haute.
Pour cette 8ième leçon ou plutôt pour la 8ième répétition de la leçon, la vie a sans doute considéré qu’il était nécessaire de me resservir une 9ième fois la leçon…
… à suivre dans une prochaine newsletter : NEUF