La démocratie ne se décrète pas, elle s'apprend !
Et si la Vième république n’était qu’une étape d’un mouvement d’ensemble plus grand vers l’émancipation de la société, vers la démocratie ?
Une fois élus, les édiles semblent tout puissants et exercent leur mandat tout comme si le vote leur conférait ce pouvoir suprême de régner en maître sur un territoire.
Est-ce que donner sa voix à un élu c’est ne plus avoir de voix pour le citoyen ?
Comment les citoyens pourraient reprendre leurs voix aujourd’hui ?
Et si la Vième république n’était qu’une étape d’un mouvement d’ensemble plus grand vers l’émancipation de la société, vers la démocratie ?
Et si la démocratie elle-même n’était qu’une étape vers de nouvelles façons d’être et faire ensemble ?
Le mythe du vainqueur
Si la révolution de 1789 a mis un terme à la monarchie en France en coupant les têtes couronnées, tout porte à croire que des têtes couronnées continuent à pousser. En effet, l’investiture de certains élus ressemble plus à un sacre, un sacre non plus divin mais démocratique puisque consacré par les voix sacrées du peuple lui-même.
Mais avant le sacre, il y a d’abord des candidats qui font campagne. Comme une armée fait campagne pour conquérir de nouveaux territoires, les candidats partent eux aussi conquérir des voix pour remporter la victoire à l’issue de l’étape ultime, les élections.
La victoire d’un élu peut questionner. En quoi est-ce une « victoire » d’être élu(e) ? Une victoire de qui sur quoi ? Une victoire de qui sur qui? Une victoire de quoi sur quoi ? Qui gagne ? Qui perd ? Qu’y a- t-il à gagner ? Qu’y a-t-il à perdre ?
La victoire comme point de départ d’un mandat pourrait constituer LE biais de la démocratie d’aujourd’hui. En effet, parce que toute victoire pré-suppose une guerre, un combat, une compétition sans pitié, l’on peut se questionner sur quel genre de démocratie peut en émerger. De même, quand s’imposer et imposer ses points de vue, critiquer et parler plus fort sont le jeu des débats (un jeu qui porte d’ailleurs bien mal son nom puisqu’il s’agit de battre l’autre plus que dé-battre), quelle place pour l’écoute, l’empathie, la compréhension dont tout le monde admet aujourd’hui que l’absence compromet toute vie démocratique.
La victoire pose ainsi les élus en vainqueurs. Or, encore aujourd’hui, un vainqueur reste, dans l’inconscient collectif, celui qui a tous les honneurs, tous les droits… tous les pouvoirs. Aussi, dès lors qu’un candidat gagne les élections, non seulement il se voit comme un vainqueur mais il est également reconnu en tant que tel par tous et fait ainsi figure d’autorité aux yeux de tous.
C’est là le drame démocratique d’aujourd’hui : cette vision de l’élu vainqueur partagée par tous.
Ainsi si les élus ont cette place, c’est qu’aux yeux des citoyens et de la constitution, la victoire d’un candidat sur les autres est nécessaire pour pouvoir être élu.
Sa voix devient la plus forte, incontestable. Unique et légitime, elle fait taire toute autre voix au nom du vote qui la consacre… au nom de la démocratie… avec le consentement de tous.
Voter est-ce donner sa voix ou s’ôter la voix ?
Cette figure du vainqueur oppose celles des «vaincus». La victoire est personnelle. Elle est celle des intérêts d’un leader et de ceux qui sont dans son camp. Les autres sont les perdants. Voyez-vous maintenant mieux le biais démocratique ?
Comment des citoyens pourraient-ils être gagnants et d’autres perdants quand la démocratie française est fondée sur la liberté, l’égalité et la fraternité ?
Le système de la majorité qui enlève les voix à toutes les minorités questionne...Que dire d’une démocratie qui crée des camps et divise ?
Le vote serait-il un don de voix au sens littéral du terme où un citoyen consent à s’ôter la voix et ainsi à renoncer à son droit de parole toute la durée d’un mandat d’élu ?
Quelle démocratie pourrait émerger d’élus tout puissants qui n’auraient pas de compte à rendre et seraient intouchables ? Quelle démocratie pourrait émerger d’élus qui oublieraient qu’ils sont là au service de tous les citoyens et non au service de leur propre voix ? Que dire d’une démocratie où les citoyens eux aussi seraient caution en adoptant, à l’insu de leur plein gré, les trois attitudes naturelles des perdants : faire allégeance, résister et s’opposer, faire le dos rond et s’adapter. L’hémicycle de l’assemblée nationale est d’ailleurs ainsi organisé...
La démocratie ne se décrète pas... elle s’apprend !
L’analyse pourrait restée sur cette image figée : « des élus à voix et des citoyens sans voix ». Heureusement le sens de la vie est qu’il n’y a de permanent que le changement… Les choses se transforment et évoluent sans cesse...
Pour le comprendre il suffit de replacer aujourd’hui dans un contexte historique et le voir comme faisant partie d’un mouvement d’ensemble et général d’émancipation de la société française vers une société démocratique.
La révolution de 1789 marque une véritable rupture avec le régime politique de la France jusqu’alors à savoir la monarchie. Les valeurs fondatrices liberté, égalité, fraternité, les grandes idées démocratiques apparaissent à ce moment là. C’est une véritable innovation politique et social au sens où les gens du peuple prennent conscience qu’ils ont un pouvoir.
Pour autant, la démocratie ne se décrète pas, elle s’apprend. Tous les régimes politiques qui se sont succédés depuis sont à voir comme autant d’étapes d’un processus d’apprentissage de la démocratie. La Vième république en est une étape et non le terminus.
Aux régimes politiques qui se succèdent correspond une société composée d’individus qui eux aussi évoluent et apprennent. Ils apprennent à s’émanciper, à devenir citoyens c’est à dire acteurs à part entière de leur propre vie et de la vie publique. D’enfant, la société grandit pour devenir adulte. En face, l’Etat, les élus sont appelés à faire évoluer leur posture de parents à facilitateurs (accompagner les citoyens sur ce chemin de l’émancipation)
Si revendiquer reste encore l’attitude prépondérante des citoyens apprenants, la revendication évolue. En effet, si elle est encore l’expression du mécontentement, de la protestation contre des politiques, les revendications ont, aujourd’hui, valeur de «régulation de la démocratie par les citoyens» pour signifier au gouvernement et aux élus «Nul n’est sensé ignoré les lois et les valeurs démocratiques, nous vous rappelons les règles démocratiques et vous nous devez des comptes.»
Pour autant, la revendication n’est pas la seule issue.
En effet, revendiquer suppose une attente forte des citoyens-revendicateurs qui, si elle n’est pas satisfaite, renforce le mécontentement et les protestations ainsi que les postures de victimes et bourreaux /sauveurs. De nouvelles façons de faire émergent et cassent ces jeux d’acteurs «victimes, bourreaux, sauveurs» (triangle dramatique de Karpman). Elles sont fondées sur la pro-activité et la responsabilité : être pro-actif c’est se donner les moyens de répondre par soi-même à une situation donnée pour l’améliorer.
Cette pro-activité s’exprime à travers des initiatives prises par des collectifs ou des individus pour faire différemment et vivre suivant des valeurs que les politiques actuelles ne nourrissent plus ou si peu.
Le mouvement des Colibris* (Pierre Rabbhi) est un des premières expressions de ces nouvelles façons de faire. Né en 2006, ce mouvement citoyen vise à soutenir, inspirer et relier tout citoyen désireux d’engager des actions concrètes pour faire émerger une nouvelle société capable de répondre aux urgences écologiques et humaines de notre époque.
D’autres mouvements ont suivi, se créent encore, chacun apportant une pierre à un nouvel édifice, un nouveau paradigme.
Le sens de ces mouvements marque l’émancipation de la société. Les citoyens prennent leur vie en main et tissent la trame d’un monde désirable, souhaitable.
Peu médiatisés, car l’essentiel n’est pas de se faire connaître mais de vivre leurs valeurs, ils œuvrent dans l’ombre et chaque jour, de nouvelles personnes viennent grossir les rangs : ce sont ceux pour qui la compétition, la vie à 100 à l’heure, la semaine comme un tunnel sans fin, les médailles n’ont plus, pas de sens.
L’Humain et l’écologie (l’écologie au sens large du terme : ce n’est pas que l’environnement mais aussi une écologie de soi) sont les valeurs fondatrices de ce nouveau paradigme. Il se dessine avec la prise de conscience de l’interdépendance de toute chose et d’une nouvelle vision du monde plus globale, plus large, plus complexe et donc riche de potentiels et d’alternatives.
Il ne peut y avoir de perdant car alors cela signifierait que tout le monde perd à commencer par soi.
Dans ce nouveau paradigme, chacun est animé par la volonté de sortir de la relation gagnant/perdant pour rechercher une façon d’être et de faire ensemble gagnant/gagnant voire même gagnant/gagnant/gagnant (1+1=3). Il s’agit de satisfaire les intérêts de chacun mais aussi d’un intérêt supérieur qui est plus grand que la sommes des intérêts de chaque partie prenante.
Toutes ces personnes se sont affranchies de l’autorité dans le sens où elles n’attendent pas l’autorisation pour faire... elles le font. Elles ne recherchent pas à décider à la place ni à imposer, ni à revendiquer. Elles explorent, expérimentent, mettent en place des actions et développent leur responsabilité en anglais «responsability» c’est à dire leur habilité à répondre de façon adaptée à une situation donnée.
Les gens apprennent à croiser leur regard, à s’écouter, à co-construire. Surtout ils prennent conscience que leur regard seul ne peut appréhender ce monde complexe et qu’il est nécessaire de le compléter avec les regards d’autres. Personne ne saurait avoir raison plus qu’un autre. Les nouveaux comportements de ce paradigme s’appuient sur l’intelligence collective, le collectif, la complémentarité, l’écoute, la bienveillance...
Toutes les voix comptent !
Vers un nouveau paradigme démocratique : changer d’attitude !
Si les évènements poussent à croire que nous régressons sur les droits acquis, sur la démocratie, etc, c’est peut-être pour cela : sortir d’une zone de confort et continuer à cheminer sur le chemin de la démocratie...
Nous, citoyens, avons besoin de questionner le fonctionnement démocratique, l’organisation politique aujourd’hui pour en identifier les principaux biais puis les actions concrètes à mener qui remettront élus et citoyens à leur place :
les élus au service des citoyens et redevables vis à vis d’eux (doivent rendre des comptes)
les citoyens acteurs de la vie publique
Parmi ces actions, l’on pourrait imaginer l’écriture par un collectif citoyens ou idéalement la co-écriture élus et citoyens d’un véritable contrat ou pacte démocratique par lequel un élu et des citoyens s’engagent à faire leur part.
Ce contrat, notamment, rappellerait les devoirs de l’élu vis à vis de ses concitoyens (écoute, transparence, prise en compte de toutes les voix, etc). Il stipulerait également les devoirs du citoyen.
Pour aller plus loin, il s’agirait d’écrire les lignes d’un nouveau régime politique qui tire les enseignements des biais du fonctionnement et de l’organisation démocratique de la Vième république.
La démocratie signifiait qu’on devait écouter tous les hommes, et qu’on devait prendre une décision ensemble en tant que peuple. La règle de la majorité était une notion étrangère. Une minorité ne devait pas être écrasée par une majorité. - Nelson Mandela