Vous avez dit "territoires durables" ?
L'aménagement des territoires aujourd'hui est-il vraiment soutenable... soutenablement humain?
Les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. ’’ article 1 - déclaration de Rio - 1992 - sommet de la Terre
Pour la plupart, le développement durable est associé à la préservation de l’environnement : espèces vivantes en voie de disparition, ressources naturelles (air, eau, bois ...etc), espaces naturels ...etc. Cette idée du développement durable porte celle de léguer une Terre en bonne «santé» aux générations futures.
Les activités humaines depuis la révolution industrielle jusqu’à aujourd’hui génèrent des pollutions et sont très consommatrices des ressources naturelles lesquelles s’épuisent rapidement et de façon irréversible. Ce faisant, elles mettent en péril la survie des espèces vivantes et notamment celle de l’Homme.
Cette prise de conscience amène à changer nos comportements : des comportements plus «écolo» : consommation plus «responsable», hygiène de vie plus «saine», énergies renouvelables ...etc
Quelles déclinaisons du développement durable sur les territoires ?
Aujourd’hui, le développement durable des territoires ne se décline malheureusement que dans cette dimension environnementale avec cette idée prédominante de préserver les ressources.
Aussi la déclinaison du développement durable sur les territoires se limitent trop souvent à des zonages entre espaces verts et espaces urbanisés et des actions et comportements visant à moins prélever sur l’environnement et moins polluer : énergies renouvelables, recyclage, économie d’énergie, économie d’eau, déplacements doux, moteurs électriques ...
Polluer au regard de l’émission des gaz à effets de serre… pour autant on ne se pose pas la question de savoir si une filière de recyclage pollue (sa construction et son fonctionnement), la construction et le recyclage des batteries, les batteries elles-mêmes polluent… autrement dit est-ce que les remèdes ne sont pas pires que le problème ?
La remise en question du modèle même de nos sociétés hérité de la révolution industrielle, au cœur de ces activités humaines qui épuisent les ressources, est exclue de toutes les réflexions ou à peine abordée.
Le développement durable n’est pas juste à considérer dans sa dimension environnementale, il est aussi économique et social. La réflexion sur le développement durable des territoires ne peut plus faire l’économie de ces deux dimensions.
D’ailleurs, la traduction anglaise de «développement durable» donne une piste frappante ... En effet, en anglais «développement durable» se dit «sustainable development» littéralement «développement soutenable».
On pense de suite «soutenable... POUR QUI ?»
La réponse apparaît évidente, limpide ... le développement durable du territoire c’est un développement qui garantit des conditions de vie soutenables à ses habitants ... demain ... et déjà aujourd’hui.
Des territoires humainement durables
Pour appréhender cette idée du territoire durable qui garantit des conditions de vie soutenables à ses habitants, il suffit de se poser quelques questions :
en quoi pourrai‐je dire que j’ai une bonne qualité de vie ?
que me manque‐t‐il aujourd’hui pour avoir la qualité de vie à laquelle j’aspire ?
Si les réponses sont propres à chacun du fait que chacun de nous a ses propres perceptions, on peut néanmoins dire sans trop se tromper qu’elles sont liées au territoire sur lequel nous vivons. En effet, l’aménagement de ce territoire de vie, son organisation, son fonctionnement impactent sur notre quotidien.
De fait, nos choix vont se faire par la péréquation de plusieurs facteurs liés à l’organisation et le fonctionnement du territoire : qualité et localisation des biens immobiliers, de la répartition des niveaux de loyers, localisation de l’emploi, localisation et accès aux services et aux équipements, aux commerces et lieux de détente‐loisirs, localisation des infrastructures, temps de déplacements, etc.
Quand les compromis prennent la part sur la liberté de choix alors vivre sur un territoire demande des sacrifices. Pour certains même, il n’y a plus de choix.
Est‐ce soutenable de voir les écarts sociaux se creuser ? Est‐ce soutenable de passer 3 h minimum par jour à se déplacer ? Est‐ce soutenable d’habiter à 4 dans un 2 pièces ? Est‐ce soutenable des villes engorgées aux heures de pointe ? Est‐ce soutenable de ne pas avoir de temps pour soi ?
Cette «soutenabilité» impacte d’une manière ou d’une autre la vie d’un individu et de fait tout ce qui lui est relié : famille, amis, liens sociaux, santé, repos, bien‐être, performances, travail ...etc.
Aussi, penser un territoire durable passe par l’Humain : les Humains de demain (les générations futures) ET d’aujourd’hui.
Réfléchir le développement durable est avant-tout une démarche profondément humaniste. Redonner sa place à l’Humain dans nos façons de construire nos territoires demain ... et en redonnant sa place à l’Humain, c’est redonner sa place à toutes les choses auxquelles il est profondément connecté, interdépendant : éléments, Nature, le Vivant...
Regarder le passé pour comprendre le présent et construire demain : les éclairages de l’histoire
Au moyen‐âge, pour asseoir le pouvoir religieux, des abbayes ont été construites autour d’elles les populations se sont regroupées. Pour se protéger des invasions, les villes s’agglomèrent. Pour asseoir le pouvoir politique, on crée des chef‐lieux.
Ces différents enjeux ont justifié une organisation multipolaire des territoires. La création de ces polarités induisent des mouvements de population en recherche de sécurité. Chaque maille est pour ainsi dire autonome : artisans, métiers, agriculture, etc.
La révolution industrielle fait l’effet d’une vraie rupture avec ce processus. La mécanisation de l’agriculture puis les différentes crises économiques forcent le mouvement des populations vers les quelques grandes villes d’un territoire, lesquelles doivent s’adapter à cette affluence.
Ainsi, la population, les équipements, les activités économiques se retrouvent concentrées sur ces grandes villes et renforcent leur rayonnement et leur attractivité au détriment des autres.
Ce faisant, d’un territoire multipolaire maillé et équilibré (un peu de tout partout) on passe à un territoire où population, équipements, infrastructures, commerces, entreprises, économie, écoles, universités, savoirs...etc se concentrent sur quelques villes seulement.
Aucune technologie ne saurait remplacer la magie du vivant.
Aujourd’hui... le dynamisme d’un territoire est directement lié à son”offre” de connexions (accès)
Aujourd’hui, on peut constater que l’attractivité d’un territoire est proportionnelle à son offre de connexions: densité, qualité, dimensionnement, diversité (routes, réseaux internet et téléphoniques ...etc).
Pourtant, alors que la Ville concentre tout, la question du mieux‐vivre se pose de façon encore plus prégnante sur fond de développement durable.
Est‐ce que le problème n’est pas tout simplement lié à la concentration géographique voire même la sur‐concentration ?
L’aménagement du territoire est encore aujourd’hui pensé à travers les enjeux de la révolution industrielle révolue. Il prend peu en compte les nouveaux enjeux liés au développement durable, soutenable. Pour preuve, les inégalités entre territoires tant économiques que sociales : urbain, rural.
Une nouvelle révolution : la révolution numérique
Aujourd’hui, les nouvelles technologies ont profondément changé notre façon d’interagir avec notre environnement. Les interactions sont plus nombreuses. La société industrielle et de consommation cède la place à la société de l’information.
La révolution numérique est entrain de se jouer et avec elle, les enjeux de société sont entrain de changer ... ont changé ... car les valeurs changent ...
Le pouvoir n’appartient désormais plus à celui qui détient l’information mais à celui qui sait la faire circuler. Partager l’information pour la transformer et créer quelque chose de nouveau : on parle de pouvoir d’influence (soft power).
On perçoit une société où le collectif prend du sens : co‐construire, co‐voiturer, co‐habiter, co‐opérer, co‐work-er , etc. Les expériences ne manquent pas dans la société civile. Les fameux fablabs portent bien cette idée de pouvoir d’influence : partager ses compétences, ses connaissances pour permettre à un groupe de créer.
Ainsi de nouvelles proximités se créent, s’inventent pour recréer du lien... humain. On perçoit que l’aménagement des territoires tel qu’il est pratiqué aujourd’hui s’essouffle, alors que les territoires s’étirent toujours quand d’autres étouffent.
Quelles nouvelles organisations des territoires peut-on imaginer aujourd’hui pour une société durable, soutenable... citoyenne ?
Le lien : l’enjeu d’hier, d’aujourd’hui et de demain
S’il s’agit d’aménager les territoires pour organiser la vie des femmes et des hommes qui les habitent alors il semble nécessaire de prendre en considération notre nature humaine et ce qui nous caractérise en tant qu’être humain : nous sommes des êtres sociaux où le lien, les échanges ont été et sont fondamentaux à notre survie ...
En effet, la propagation de notre espèce Homo Sapiens sur l’ensemble des continents est expliquée par les scientiJiques comme les historiens par ces deux caractéristiques de notre espèce : notre curiosité et notre capacité naturelle à aller vers les autres et à établir des liens.
Si ces liens ont permis de mélanger les patrimoines génétiques, ils ont également permis d’apprendre des autres et de leur culture pour partager et enrichir les connaissances et savoir‐faire.
Ces liens tissés ont été autant de chances pour (sur‐) vivre dans un environnement en créant : l’agriculture, des outils, des armes (chasse), des habitations ...etc, etc.
Aujourd’hui, ce sont encore ces mêmes liens qui nous permettent de survivre : liens familiaux, liens sociaux. Pour s’en convaincre, on ne peut qu’observer ce qui se passe pour des personnes en situation de chômage et/ou divorce : ce qui manque n’est pas l’argent, ce qui manque c’est le lien, les liens humains.
Si notre civilisation a pu être créée grâce à notre capacité d’humains à faire des liens, elle est aujourd’hui malade. En effet, s’il existe de plus en plus de façon de communiquer, d’informer, d’échanger (internet, autoroutes, routes, téléphonie, satellite, avions, trains, voitures ...etc), les liens humains (chaleur, convivialité, empathie, écoute...etc) se détériorent... Les territoires en portent les stigmates : des villes inhumaines, des campagnes désertées et cloisonnées, des zones commerciales ou résidentielles sans âme, des collectifs où on partage plus le «chacun pour soi» que le «bien‐être ensemble».
Hier, aujourd’hui et demain plus que jamais, notre capacité à préserver, restaurer, améliorer notre façon de faire le lien social déterminera la survie de nos sociétés d’Homo Sapiens.
Préserver, restaurer, améliorer ... ré-inventer notre façon de faire lien ...
Les territoires : la trame géographique du lien
Les liens se tissent entre les individus à travers et sur le territoire. En ce sens, le territoire est la trame physique et géographique des liens entre groupes humains et il en est également la Terre nourricière.
On comprend alors que l’organisation de cette trame est fondamentale. D’une part, elle doit permettre, favoriser, créer le lien social et culturel entre les
«groupes» humains; d’autre part, elle doit permettre à chaque «groupe humain» de pouvoir vivre du territoire sur lequel il vit.
En énonçant ces principes d’organisation, on peut appréhender quelle serait la plus petite maille de cette trame géographique : le territoire vécu.
Organiser, aménager les territoires, c’est bien créer la trame d’un territoire géographique , une trame dont le maillage et la qualité permettront de préserver, créer, (dé)multiplier les liens entre les groupes humains.
Remettre l’Humain au coeur de nos préoccupations
Notre société est entrain de changer. Si on parle de transition énergétique, on peut plus que jamais parler de transition sociétale.
La société de consommation et les valeurs qui la portaient est entrain de s’effondrer face au seul constat qu’elle n’est pas viable socialement, humaine‐ ment : fractures sociales, inégalité, déséquilibre, mal‐être, impact sur la santé. Le modèle n’est pas durable au sens de soutenable.
Aussi, est‐il temps de faire une pause pour se questionner collectivement sur le sens de l’aménage‐ ment du territoire autrement dit répondre à ces questions : «Qu’est-ce qui est important pour nous ?» ou «Quelle vie souhaitons-nous pour nous aujourd’hui et pour nos enfants ?»
Si la naïveté de ces questions peut surprendre, elles ont le mérite de remettre en question certaines actions, certaines politiques et surtout elles nous questionnent tant collectivement qu’individuellement sur ce dont nous avons besoin pour être bien, sur ce que nous devons sacrifier pour rien au monde au bûcher de nos egos...
S’il n’y a pas de solution au problème, c’est qu’il est mal posé. - Albert Einstein.
Plus que résoudre un problème, ces questionnements permettent de se poser les bonnes questions pour revenir à l’essentiel.
L’essentiel est notre langage commun d’Humain. Il est porteur à la fois de sens, de liens, de cohésion, de forces fédératrices.
C’est le sens partagé qui permettra de ré‐inventer nos territoires pour le Bien‐Être de Tous en ré‐inventant notre façon de faire les liens sociaux... notre façon de faire société ... et nos territoires.
Pour cela, il est nécessaire de changer d’attitude
1 [ ... - dépasser les approches trop spécialisées et faire se rencontrer des hommes compétents pour faire émerger une vision commune faite de complémentarités
refuser l’utilisation de procédés d’analyse basés sur l’habitude et la routine pour permettre une analyse en profondeur qui permettra de comprendre le comportement et les motivations des hommes
prendre des risques : l’horizon éloigné autorise l’audace, l’innovation ...]
- remettre l’Homme au cœur de nos sociétés, au cœur de nos préoccupations
- réussir le pari de l’Homme au coeur de nos sociétés en dépassant nos peurs et changer d’état d’esprit en développant :
2 [... - le calme : pour pouvoir prendre du recul et conserver la maîtrise de soi
l’imagination : ouvre la voie de l’innovation et permet d’avoir un regard différent, original sur le monde
l’esprit d’équipe : indispensable avec l’enthousiasme pour une action efficace
l’enthousiasme
le courage : pour sortir des chemins tracés, innover, entreprendre et accepter les risques inhérents
le sens de l’humain : primordiale pour avoir conscience de son devenir, une société doit mettre en avant l’homme – être capable de pouvoir comprendre avant de juger la pensée de l’autre : rôle majeur de la culture ...]
et se rappeler que notre nature même d’Être Humain, notre force réside dans notre capacité d’apprentissage par...
extrait «La prospective stratégique» Michel Godet édition DUNOD)
extrait «La prospective stratégique» Michel Godet édition DUNOD)